Comment l’Opération Infektion a propagé la désinformation sur le SIDA.
Contexte historique de l’Opération Infektion
Dans les années 1980, en pleine Guerre Froide, les tensions entre l’Union soviétique et les États-Unis sont à leur apogée. L’URSS, sous la direction de Iouri Andropov depuis 1982, et les États-Unis, présidés par Ronald Reagan, s’affrontent non seulement sur le terrain politique et militaire, mais aussi à travers une guerre idéologique riche en propagande et diabolisation de l’ennemi. Ronald Reagan qualifie l’URSS « d’Empire du Mal » et met en place des mesures pour protéger son pays d’une potentielle attaque nucléaire, notamment via un projet de défense antimissiles. Iouri Andropov, quant à lui, préfère s’attaquer au soft power des Etats-Unis lors de l’Opération Infektion.
Qu’est-ce que l’Opération Infektion?
L’Opération Infektion est une campagne de désinformation menée par les services secrets soviétiques dans les années 1980. Cette opération visait à déstabiliser les États-Unis en les accusant d’être responsables de l’apparition du SIDA, une maladie encore peu comprise à l’époque. Le but de l’opération était de semer le doute dans l’opinion publique internationale et de ternir la réputation des États-Unis en touchant à sa liberté d’expression et à ses principes démocratiques.
Déroulé de l’Opération Infektion
Pour cette opération de désinformation, l’URSS se base sur une stratégie appelée les “mesures actives”. Elle comprend sept étapes :
- Trouver des failles : contexte politique américain fragilisé (Watergate, Pentagone Papers).
- Créer le mensonge : les Etats-Unis ont créé et propagé le SIDA.
- Enrober le mensonge autour de vérité : témoignage de spécialiste.
- Donner l’impression que l’information vient d’ailleurs : publication de l’information dans un journal étranger du Tiers Monde.
- Identifier un idiot utile : Jakob et Lili Segal.
- Laisser traîner : attendre plusieurs années avant que l’information soit récupérée par les américains.
- Toujours nier même si la vérité est évidente
Le 17 juillet 1983, le journal pro-soviétique The Patriot publie un article intitulé « AIDS may invade India: mystery disease caused by US experiments » (cf. ci-dessous). L’article, tiré à 35 000 exemplaires, accuse les États-Unis d’avoir créé et diffuser le virus du SIDA via des dons de sang contaminés. La rumeur est alors lancée et l’opération peut enfin commencer.
C’est un an et demi plus tard, le 30 octobre 1985, que l’article est repris par le journal soviétique très influent, Literaturnaya Gazeta. Cela permet d’amplifier la portée de la rumeur, de lui donner de la crédibilité et de la propager jusqu’en Allemagne.
C’est ensuite au tour du biophysicien allemand Jakob Segal et de sa femme Lille Segal de publier, en 1986, un rapport affirmant que le virus du SIDA a été créé dans le laboratoire du United State Army medical Research Institute of Infection and diseases de Fort Detrick. Traduit en 30 langues et publié dans environ 80 pays, le rapport finit par être repris dans le journal américain de gauche anticapitaliste The Truth et il titrait “Le SIDA est une guerre bactériologique du gouvernement américain contre les gays et les noirs”. Cependant, elle devient connue de tous le 30 mars 1987 lorsque le présentateur Dan Rather annonçait, en direct de la CBS New Evening, que l’épidémie mondiale de SIDA est le résultat d’une fuite d’un laboratoire américain réalisant des expériences bactériologiques. L’Opération Infektion a donc atteint sa cible : les Etats-Unis.
Or, cette erreur journalistique, due à l’absence de vérification des sources, illustre une faille dans le système médiatique américain, déjà fragilisé à l’époque par les affaires de Watergate et du Pentagone Paper. La désinformation a, encore une fois, décrédibilisé le gouvernement américain et ses actions militaires.
Les États-Unis et la lutte contre la désinformation
Face à cette campagne de désinformation, le gouvernement américain réagit en contactant les rédactions des journaux ayant publié ces fausses informations mais aucun chef de rédaction accepte de démentir et de clamer l’innocence des Etats-Unis. Pour ce faire entendre, il faut passer par la voie diplomatique et demander publiquement à l’URSS d’avouer cette manigance. Mais l’URSS refuse car selon les sept étapes des “mesures actives” il faut “toujours nier même si la vérité semble évidente”.
En 1987, Kathleen C. Bailey, sous-secrétaire adjointe au département d’État, déclare publiquement que cette campagne de désinformation, orchestrée par l’Union soviétique, a gravement affecté la réputation internationale des États-Unis aussi bien d’un point de vue politique, économique que culturel.
« J’étais tellement en colère qu’ils aient accusé les États-Unis d’avoir créé le virus du sida, car je savais à quel point cela allait être efficace comme outil contre nous. […] L’image des États-Unis à l’étranger est écornée et la politique étrangère américaine compliquée par la désinformation. La principale origine de la désinformation sur les États-Unis à l’étranger est l’Union soviétique »
Kathleen C. Bailey, sous-secrétaire adjointe au département d’État.
Finalement, l’URSS admet en 1987, sous pression diplomatique, que l’Opération Infektion était une campagne de désinformation et que les États-Unis ne sont pas responsables de la création du virus du SIDA.
Conséquences de l’Opération Infektion
L’Opération Infektion a eu des répercussions politiques, économiques et diplomatiques majeures pour les États-Unis. Voici les principales conséquences :
- Politique intérieure :
La population américaine, déjà méfiante suite aux scandales du Watergate et des Pentagone Papers, devient encore plus sceptique envers son propre gouvernement, rendant la gouvernance plus difficile. - Répercussions économiques :
La réputation internationale des États-Unis est ternie, certains pays hésitent à conclure des accords commerciaux avec eux. Le soft power américain en sort affaibli, et les produits culturels américains, comme les films, sont rejetés dans certaines régions du monde. - Crise diplomatique :
Sur la scène internationale, les États-Unis subissent un affaiblissement de leur position diplomatique. Certains pays, ne sachant plus distinguer le vrai du faux, préfèrent suspendre ou ralentir leur coopération avec les États-Unis.
Conclusion : L’impact durable de l’Opération Infektion.
Bien que l’URSS ait fini par avouer son rôle dans cette campagne de désinformation, l’Opération Infektion a laissé une empreinte durable. Même aujourd’hui, des doutes persistent, et la méfiance envers les actions du gouvernement américain reste présente. Cette opération de désinformation demeure l’une des plus grandes victoires soviétiques dans la guerre idéologique contre les États-Unis.
Aujourd’hui encore, la communication est utilisée en politique pour manipuler les opinions et transmettre des messages forts aux jeunes générations. Les réseaux sociaux et les influenceurs contribuent de plus en plus à la propagation de ses informations qui sont parfois des fake news. Je vous laisse en découvrir d’avantage grâce aux articles ci-dessous :
- Comment les influenceurs impactent la communication politique : entre engagement et manipulation des opinions.
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Je vous remercie pour votre lecture,
Sixtine MERIGOT
Etudiante en Master 2 Communication Média et Hors Média
Sources :
- The New York Times : Meet the KGB Spies Who Invented Fake News : https://www.youtube.com/watch?v=h5WjRjz5mTU
- Opération INFEKTION : Le cas d’une campagne de désinformation réussie sur le SIDA | Ecole de Guerre Economique (ege.fr)
- Comment le KGB a convaincu le monde entier que le sida était une invention américaine – Russia Beyond FR (rbth.com)
- https://medium.com/lessons-from-history/operation-infektion-a1485fe85443