La digitalisation de l’événementiel face à la crise du COVID19
Du Printemps de Bourges jusqu’à la Paris Games Week, en passant par le Salon international de l’automobile de Genève, l’agenda 2020 s’annonçait plein de promesses et d’ambitions tel que nous le présentait Le Journal du Dimanche dès le 31 décembre 2019. Mais la réalité en fut tout autre et ce au grand détriment du marché mondial de l’événementiel. Pour cause : l’épidémie de COVID19 qui plongea, dès le début de l’année, l’ensemble des citoyens du monde dans une crise sanitaire inédite, de laquelle découla une crise économique inattendue.
Mais ce ne sont pas les idées qui manquent aux professionnels de ce secteur pour faire preuve d’audace et de créativité : se réinventer par le biais du digital, et pourquoi pas ?
Les heures sombres du marché de l’événementiel
L’histoire est désormais bien connue : dès la fin de l’année 2019, le dernier virus de la famille des coronavirus est découvert en Chine, plus précisément à Wuhan. En quelques mois, ce dernier se propage à un nombre grandissant de pays du monde. La France, elle, est touchée dès le mois de janvier.
Face à un tel virus, il y a urgence car la maladie se transmettant principalement d’une personne à une autre, il devient nécessaire de limiter de la manière la plus efficace possible les contacts de la population mondiale. Les premières mesures gouvernementales sont ainsi prises et ne cesseront de se multiplier par la suite. La distanciation sociale devient de rigueur.
Or, un événement, quel qu’il soit, étant avant tout un lieu de rencontre, d’échange et de partage, comment pourrait-il se tenir dans un tel contexte sanitaire?
Les annulations et reports se multiplient
C’est ainsi que le marché de l’événementiel ressent les premières secousses du séisme à venir, dès le mois de février. Les premières annulations et reports sont actés. Les chiffres de contamination ne cessent de progresser et dans l’incertitude générale, il devient difficile de se projeter, d’autant plus que la versatilité des mesures prises par les divers gouvernements pour lutter contre l’épidémie contribue à l’inquiétude grandissante qui s’installe peu à peu dans le quotidien des acteurs de la profession.
A partir du mois de mars, la situation se dégrade plus encore : la France, comme de nombreux autres pays, connait le premier confinement de son histoire.
Le marché de l’événementiel est au point mort et ce n’est que le début de ses heures sombres. En France, le gouvernement décide, le 28 juillet, de repousser la date de réouverture des Établissements Recevant du Public de type T, au 1er septembre 2020.
Mais ce n’était pas sans compter la décision de ce même gouvernement, datant du 14 août, de prolonger l’interdiction des événements réunissant plus de 5 000 personnes jusqu’au 30 octobre. Résultat : en ce mois de septembre, les annulations se poursuivent et les perspectives à venir ne sont pas fleurissantes pour le monde de l’événementiel, d’autant plus que les derniers chiffres de l’épidémie ont contraint certaines préfectures à abaisser de nouveau la jauge de leurs rassemblements. En France, il est attendu 230 000 licenciements pour un secteur qui compta 450 000 emplois directs.
Même le leader mondial de la filière, GL Events, présente des résultats et des perspectives 2020 effroyables, discutés par La Tribune dans une enquête récente réservée au géant français.
Désormais, les plus optimistes prévisions estiment qu’en 2021, l’activité événementielle française ne représentera que 30% de celle de 2019, avec une reprise totale des volumes d’activité en 2023.
Et si la digitalisation de l’événementiel était LA solution ?
Organiser une conférence, un salon, une foire, un congrès ou bien un séminaire n’est plus à l’ordre du jour. Les mesures gouvernementales et la distanciation sociale que nous impose la crise sanitaire actuelle bouleversent depuis plusieurs mois les normes de l’événementiel. Mais ces contraintes, loin de signer l’arrêt de mort de cet outil de communication hors média, accélèrent un mouvement perceptible depuis quelques années : la digitalisation des événements.
Abandonner ou se réinventer ?
De nombreuses entreprises et agences de communication événementielle auraient pu faire le choix d’annuler ou de reporter la tenue des manifestations qu’elles pensaient et organisaient depuis plusieurs mois déjà. Beaucoup d’entre elles l’ont d’ailleurs fait, il suffit simplement de se référer à la liste, chaque jour grandissante, des événements qui ne se tiendront pas en 2020, du moins à leur date initialement prévue.
Cependant, à leurs côtés, d’autres événements ont fait le choix de passer au tout-digital et c’est tout à leur honneur. Effectivement, certaines manifestations, de par leur fréquence, se sont imposées tel un rendez-vous annuel à ne pas manquer pour des centaines, voire des milliers de spectateurs. Elles se sont installées dans l’esprit mais également dans le cœur de passionnés de leur domaine au point que leur annulation puisse attrister une grande partie de ces derniers. Et il en va de même pour l’ensemble des séminaires et autres réunions professionnelles !
Pour leurs organisateurs, il semblait donc important, malgré les contraintes et les obligations actuelles, de maintenir le lien avec leurs clients, externes comme internes, quitte à se réinventer par le biais du digital. « Cela fonctionne très bien », selon Corentin Bernard, directeur au sein du groupe Créatifs, avec lequel j’ai pu m’entretenir et qui a notamment participé à la digitalisation du congrès Agir pour l’inclusion numérique (AGINUM), fin août à Bordeaux. D’après lui, « les gens étaient plutôt contents car il fallait garder le lien ».
Le mouvement est en marche
Et ce souci de transformer les rencontres physiques en événements digitaux est loin d’être réservé aux géants de la technologie tels qu’Apple et Microsoft, dont les conférences respectives, WWDC 2020 et Build, se sont tenues virtuellement aux mois de mai et juin derniers. Le marché de l’événementiel dans son ensemble s’est saisi du mouvement.
Effectivement, tandis que des étudiants de Sciences Po Paris ont décidé de recourir au monde virtuel de Minecraft pour y recréer leur école, de manière à pouvoir y donner des cours et permettre les interactions existantes en amphithéâtre, les grandes maisons de mode elles (Chanel, Dior, Balmain,…), allient le monde physique et digital pour faire vivre aux consommateurs la meilleure expérience possible à l’occasion de leurs défilés.
Et sur ce point-là, ce sont le jeu vidéo Fortnite et le rappeur américain Travis Scott qui ont fait fort. En effet, du 24 au 26 avril, une version virtuelle de l’artiste de Houston est apparue sur une île de l’arène du jeu pour y présenter un medley de ses succès. A l’occasion de cinq concerts digitaux d’une durée de 10 minutes chacun, plus de 27 millions de joueurs ont pu se retrouver au plus près d’un Travis Scott géant et torse nu, dans un décor psychédélique rempli d’effets spéciaux.
Attirer et retenir l’attention : l’enjeu majeur du « tout-digital »
Bien que les possibilités de digitalisation d’un événement soient désormais multiples, il n’en demeure pas moins que cette transformation des rencontres physiques en manifestations à distance exige de ses organisateurs une réactivité et une capacité d’adaptation sans mesure.
« Il ne faut pas croire que parce qu’on dit au gens de parler à une caméra, on numérise un événement. Il faut tout reprendre, aussi bien pour les intervenants que pour les participants : format, durée, attention, interactivité. »
Corentin Bernard, directeur au sein du groupe Créatifs
Repenser son événement et adapter son contenu…
Au cours d’une foire, d’un salon ou d’une conférence, l’environnement et l’atmosphère dans lesquels évolue le spectateur sont minutieusement pensés et travaillés, de manière à ce qu’il s’en empreigne, s’y plaise et s’y implique. Ainsi, chaque détail compte : les décors, la luminosité, le son, la dynamique des interventions et animations,… Or, à travers un écran, il devient automatiquement plus difficile de capter l’attention des participants et de les immerger de la tête aux pieds dans l’événement, de sorte que le passage au tout-digital implique nécessairement de repenser ce dernier dans son intégralité, en passant par sa stratégie de communication, ses messages mais aussi les moyens de les diffuser pour créer de l’interaction et de l’engagement à distance.
Pour cela, il convient de porter une attention toute particulière aux contenus proposés, en misant sur des contenus riches (vidéos, podcasts audio), interactifs (favorisant les échanges entre les spectateurs et les intervenants) et impactants (synthétiques et visuels).
A tel point que selon Corentin Bernard, « les intervenants doivent laisser la place à l’animateur plus qu’à l’intervenant, ils doivent donner du rythme ».
« Lors de la création d’un événement digital comme celui-ci, il est nécessaire de prendre en compte l’état d’esprit différent de la personne qui y participe. Alors qu’en physique, il est complètement disponible, presque captif ; à distance, il faut veiller à maintenir son attention sur le contenu en trouvant le bon rythme. »
Ludovic Alvarez, cogérant de l’agence Machin Bidule
… un pari gagnant
L’assureur Groupama Centre Manche l’a d’ailleurs bien compris, lorsqu’il a fait le choix de métamorphoser la réunion de ses 330 cadres en un événement digital de deux heures, mêlant vidéos, podcasts audio et interactions avec les membres du comité de direction présents. Le secrétaire général, Florent Poittevin, précise : « Cela nous a obligés à être plus synthétiques dans la forme, comme dans le fond, à transformer des discours de plusieurs minutes en prises de parole de quelques dizaines de secondes, en veillant, à chaque fois, à délivrer un message le plus impactant possible ».
C’est aussi l’exercice dans lequel s’est illustrée l’agence de notation RSE EcoVadis, dont l’événement annuel dédié aux achats responsables, Sustain, fut une véritable réussite. Prévu initialement lors d’une manifestations physique à Paris, il s’est finalement tenu en ligne le 12 mars dernier, sur la plateforme 6Connex qui restera encore accessible pendant 6 mois.
« Le passage au digital n’a pris que dix jours, et nous avons multiplié notre participation par deux. En physique, cet événement attire habituellement 700 personnes. Avec cette version digitalisée, nous avons enregistré 2 600 inscriptions venant de 57 pays différents, pour un total de 1 600 visiteurs uniques », explique Cécile Dorvault, Global Field Marketing Director pour EcoVadis.
L’enjeu était pourtant de taille puisque l’entreprise a fait le choix de recréer virtuellement son salon. Les collaborateurs de l’entreprise sont ainsi apparus sous forme d’avatars, pouvant accueillir les conférenciers et engager la conversation par chat. Les participants pouvaient entrer dans différents salons pour assister à une plénière, à l’un des quatre ateliers menés en parallèle et aller discuter avec les sponsors disposant chacun d’un stand.
Quelques conseils pour digitaliser son événement
Finalement, loin d’être des versions dégradées des rendez-vous physiques, les événements digitaux ouvrent de nouvelles opportunités à leurs organisateurs. Voici quelques conseils pour réussir ce mouvement en vogue.
Conseil n°1 : ne pas y voir un rendez-vous au rabais
Les possibilités et avantages qu’offrent les rencontres virtuelles sont nombreux et l’événement, en devenant un média, permet souvent de se connecter à de nouvelles audiences et à de nouvelles cibles.
Conseil n°2 : choisir les bons formats
La forme de l’événement doit servir le fond. Autrement dit, la digitalisation impose de se concentrer sur les formats qui ont le plus de valeur pour attirer et retenir l’attention des participants car virtuellement, « c’est plus compliqué et plus fatiguant pour l’intervenant », selon Corentin Bernard.
Conseil n°3 : ne pas oublier l’humain
Virtuellement comme physiquement, l’expérience utilisateur doit être placée au centre de toutes les attentions. Le monde de l’événementiel repose avant tout sur l’humain, la rencontre et la relation.
Conseil n°4 : se faire aider pour se lancer
Le passage au tout-digital exige un profond travail éditorial en amont, un déroulé millimétré et des contenus augmentés, ce qui n’est pas à la portée du premier venu. Or, de très nombreuses agences ont vu dans la crise sanitaire du COVID19 des opportunités de réinventer l’événementiel à distance. Celles qui sortiront du lot seront alors celles capables de mêler conseil, design, éditorial, événement et accompagnement de l’innovation.
Les évènements digitaux vont-ils remplacer les rencontres physiques ?
Mais alors, au regard des multiples opportunités permises par la digitalisation de l’événementiel, une interrogation nous vient à l’esprit : pour quelles raisons a-t-il fallu attendre la crise sanitaire actuelle pour que ce mouvement s’accélère ?
L’humain avant tout
La réponse est simple : les êtres humains ressentent, depuis toujours, le besoin de rencontres physiques, de contact et de lien social.
Il n’y a qu’à se référer à l’histoire des civilisations humaines : chacune d’entre elles s’est construite autour de la thématique de la rencontre, que celle-ci soit religieuse, culturelle, économique ou même politique. C’est dans la rencontre qu’il devient possible d’échanger, de transmettre, d’innover, et l’événementiel représente depuis des siècles l’apogée de ces rendez-vous. En effet, un événement ou une manifestation, ce n’est rien d’autre qu’un moment d’exception, un rassemblement des individualités dans un but commun, autour d’un thème, d’une émotion ou à l’occasion d’une célébration.
Nous avons tous besoin d’autrui, or s’il y a bien une composante que les événements physiques ont et qui semble aujourd’hui impossible à transposer dans un monde digital, c’est l’humain.
Une étude réalisée mi-mai par l’Institut Français d’Opinion Publique et commanditée par Weezevent le prouve : 93% des Français sont dans l’expectative de pouvoir participer à nouveau à des événements et plus d’une personne sur trois se déclare prête à participer à nouveau à des manifestations physiques dès que cela redeviendra possible.
Par conséquent, bien que la crise sanitaire liée au COVID19 ait indéniablement changé la donne et participé à l’accélération de la digitalisation des événements, il n’y a pas de doute sur le fait que les rencontres physiques redeviendront la norme dès qu’elles seront à nouveau autorisées. Même si nous parlons à nos écrans, même si nous télé-travaillons, même si nous échangeons sur les réseaux sociaux, rien n’est plus précieux qu’une conversation physique et l’actualité nous l’a démontré. Dans le même temps que la crise nous a poussé vers la numérisation, elle nous a révélé la cruauté de la distanciation.
Mais la digitalisation tient ses promesses
Quoi qu’il en soit, les événements virtuels ont ouvert de nouvelles portes et multiplié les opportunités du monde de l’événementiel. Il ne s’agit pas d’une tendance éphémère mais bel et bien d’une nouvelle option qui devrait s’inscrire dans le temps et que tous les acteurs devront désormais prendre en compte.
Corentin Bernard n’en doute d’ailleurs pas : « Tout le monde est convaincu que rien ne remplacera un événement physique mais les événements digitaux permettent un continuum de la manifestation, en amont et en aval, et une profondeur dans l’événement. […] Ce ne sont pas des alternatives aux événements physiques mais un très bon complément. Les meilleurs, ce seront ceux qui arriveront à faire l’alchimie des deux. La finalité c’est la rencontre, le numérique c’est un outill ».
Le futur pourrait ainsi être hybride. En effet, l’idée de prendre le meilleur des deux mondes en proposant un événement à la fois physique et digital par le biais de divers formats (live streaming, événement satellite, broadcast,…) séduit désormais la plupart des professionnels du secteur. EcoVadis réfléchit déjà à un mix entre physique et virtuel pour Sustain 2021, par exemple.
Pauline SINEL – Master 2 Communication Média et Hors-Média (promotion 2020-2021)