Historiquement attribuée à la politique et aux jeux de pouvoir, l’influence a de beaux jours devant elle en économie. Dans un univers de concurrence toujours plus accrue (août 2018 confirmant une accélération dans la création du nombre d’entreprises… avec une hausse, selon l’INSEE, de 16,8% en août sur les douze derniers mois !), il devient vital pour les entreprises de se différencier, de profondément pouvoir être distinguées des autres afin de pérenniser leur activité. Il n’est alors pas surprenant de les voir soigner leur image, étoffer leur univers de marque, entre communication léchée et coups d’éclats médiatiques redoublant de créativité. EasyJet s’illustre à Bordeaux en utilisant comme support le patrimoine de la ville en lui-même, Oasis s’associe à un youtubeur, Fnac met en scène l’assistant Google dans sa nouvelle campagne publicitaire… Tous ces efforts, les marques les déploient en un sens : infléchir les comportements. L’objectif n’est pas seulement de faire parler de la marque, mais, par le brio de leur communication, d’ancrer une image positive de la marque dans les esprits pour finalement obtenir des comportements positifs à son égard. Nous nous pencherons plus précisément sur le concept un peu plus loin, mais nous pouvons dès lors bien parler d’influence ! Point commun aux trois campagnes de communication citées précédemment : elles ont bénéficié sur les réseaux sociaux et autres canaux digitaux. Cet article a vocation de se pencher sur l’influence et les moyens que se donnent les entreprises, à l’heure du digital, pour orienter les comportements dans un sens qui leur est positif.

Mais qu’entend-on, par influence ?

Il conviendrait, dans un article plaçant en son centre l’influence, d’en définir dans un premier temps la signification que l’on attribue ici au mot… alors allons-y ! Influencer, c’est modifier le paradigme de pensée de quelqu’un, d’induire un changement de niveau dans sa perception des réalités. En d’autres termes, influencer quelqu’un, c’est modifier sa manière de penser quelque chose. Nuance à faire cependant : il faut significativement différencier manipulation, désinformation et influence*.  Que l’on fasse appel aux sens ou au jugement de la personne influencée, le processus d’influence se fait du jeu de sa propre volonté. En fait, la personne influencée conserve son libre arbitre, on lui « offre » la possibilité de réviser ses positions. Dans un champ plus économique, James G. March définit l’influence comme la capacité qu’a une entreprise à modifier les préférences, les intérêts et les aspirations de ses parties prenantes et de la société en général, de façon à les faire agir dans le sens de ses propres préférences, intérêts et aspirations**. Quand on parle d’influence, il faut alors considérer deux idées : elle s’exerce au sein de la firme et vers les publics extérieurs qu’elle vise.

QUELLE PLACE POUR LA COMMUNICATION DANS TOUT ÇA ?

Dans son essence même, la communication d’une entreprise a pour finalité d’influer sur son chiffre d’affaires. Qu’elle soit menée en interne ou en externe, elle a pour objectif de présenter l’entreprise, sa marque, son activité ou son produit sous le meilleur jour. Par la diffusion d’une information, d’un message quelconque, on va chercher à transmettre une idée. Néanmoins, si l’information en tant que telle est neutre, la communication, qui s’en fait vecteur, est forcément subjective… puisqu’elle est à l’origine d’un émetteur qui l’oriente comme bon lui semble ! De fait, puisqu’on disait avant qu’influer, c’est modifier la manière de penser de quelqu’un, il y a de l’influence dans la communication. Les entreprises ont aujourd’hui bien intégré cette notion : nous le disions un peu plus tôt, entre multiplication des « coups de com’» et créativité démultipliée, impensable pour une firme de ne pas communiquer, générer des comportements positifs envers elle. On va même aujourd’hui jusqu’à parler de marketing d’influence, matérialisant plus que jamais le lien, pourtant perpétuel, entre communication et influence à l’ère du Web « 2.0 » . Plus que jamais, communiquer et influer vont de paire.

À la rencontre entre intelligence économique et communication

De prime abord, intelligence économique et communication sont des domaines qui ne se rencontrent que dans de rares cas. Cette divergence est surprenante. Si l’on s’en tient à sa définition, l’intelligence économique regroupe l’ensemble des activités coordonnées de collecte, de traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurs d’un marché. Dans l’intelligence économique se trouve une place pour la communication, dans la mesure où l’information récoltée est par la suite diffusée vers des cibles internes comme externes à la firme… Il faut donc choisir une façon de le faire ! Pour certains chercheurs, la communication est en conséquence consubstantielle à la démarche d’intelligence économique. L’influence étant la matérialisation selon eux d’une communication offensive et finalement une nouvelle manière de penser la communication dans un contexte de guerre économique.

Dans son article « De la stratégie d’influence à la communication d’influence », Christian Harbulot avance que cette communication, à vocation d’influence, possède une spécificité propre : elle implique une certaine compréhension des mécanismes psychologiques et cognitifs des cibles visées, le tout dépendant d’héritages, de cultures reçues ou construites, bref, d’identités singulières. Ce qui est intéressant dans cette analyse, c’est que les marques semblent aujourd’hui bien avoir intégré cette idée, cet aspect communautaire, presque tribal, nécessaire à la communication d’influence. Que ce soit « dans la vraie vie » ou par leur communication online, on assiste à un revirement des stratégies en ce sens. Pour cet article, nous allons nous concentrer sur la partie  digitale du phénomène. Les ficelles utilisées par les entreprises sur Internet étant vastes et en constante évolution (au fil de celle des algorithmes et des tendances), nous allons nous pencher sur deux indispensables de la communication digitale « d’influence » en 2018 !

La démocratisation de l’influence : la communication à l’ère du digital

LE PHÉNOMÈNE « INFLUENCEURS »

Pour Alain Juillet et Bruno Racouchot, diffuser unilatéralement un message ne suffit plus. Pour être pertinente, l’information doit s’efforcer de convaincre de nombreux relais d’opinions***, qui agissent comme « des filtres, des censeurs ou des accélérateurs ». Ces relais d’opinion, s’ils acceptent le message, le relaient à la cible finale. Ce procédé permet à l’émetteur du message de se trouver en position de force, puisque ce n’est pas lui qui assume directement la véracité et la teneur du message initial. Il est plus facile de croire quelqu’un disant du bien d’une marque que la marque disant du bien d’elle-même. Ça, les marques l’ont bien intégré : 2017 marque, selon une étude Reech, une augmentation de budget chez 52% des interrogés dédiée au marketing d’influence.Dans les faits, le terme est la dénomination « moderne » de ce que nous décrivions précédemment. Pour les marques, il s’agit de contacter une personnalité fortement suivie sur les réseaux sociaux qui fera office de leader d’opinion : on lui accorde la faculté d’orienter le comportement d’achat de son public. Par cette façon, le message émis par la marque passe par un intermédiaire, qui va crédibiliser ce message pour en améliorer les retombées. Que ce soit à la fois en consommation directe du produit ou service vanté ou en termes d’image de marque (l’image de l’influenceur influant sur celle de la marque et vice versa), la collaboration entre marques et influenceurs n’est pas neutre.

Ces partenariats occupent aujourd’hui une place primordiale dans le paysage web : 79% de la progression des audiences YouTube viendrait des influenceurs pour Emmanuel Charonnat, directeur CB Expert chez CB News. Quand on sait qu’en France, 37,5 millions de personnes vont sur YouTube chaque mois, on se rend compte de l’importance du phénomène ! Plus loin que ça, nous parlions un peu plus tôt de l’importance de comprendre comment se façonnent les identités des publics visés pour mener à bien la communication d’influence. Dans un article publié cette année,
Claire Balleys, docteur en sociologique de la communication et des médias, met en avant comment YouTube et les médias sociaux ont profondément modifié la manière dont les adolescents construisent leur identité, au point que ces réseaux occupent à présent une place primordiale dans ce processus de construction de soi****. Pas surprenant alors que ce terrain soit investi par les marques et que les chiffres soient à la hausse.

COMMUNIQUER ET COMMUNAUTES

Autre aspect de la stratégie de communication digitale des marques : la fédération de leurs communautés sur les réseaux sociaux. Entre publications humoristiques, créations épatantes, jeux concours et autres encouragements à l’interaction, ces pages rassemblent à présent des millions de personnes derrière une marque. Fait nouveau : si les pages des marques sont créées à leur initiative sur les réseaux de leurs choix, si l’univers et le contenu de marque qu’elles y étoffent est le fruit de leur réflexion, on ne peut pas pour autant dire qu’elles en sont véritablement maître. À la différence d’un site appartenant à la marque vers lequel se dirigeraient les consommateurs, c’est le processus inverse qui se produit ici. La marque rejoint la place publique, le lieu d’expression de ses cibles. Là aussi émerge un nouveau terme : ça-et-là, on parle de marketing communautaire. La marque va faire le lien sur les réseaux sociaux entre les individus. Porteuse d’une histoire, de valeurs, d’une identité propre dans lesquels le consommateur va se reconnaître et, peu à peu, émergent les communautés.
Mais ici, l’influence ne se fait plus unilatéralement, de la marque vers ses cibles. Le processus est éclaté dans la mesure où la prise de parole se fait également du consommateur à la marque et de consommateur à consommateur. L’enjeu est différent pour les marques. Dans un espace où peut s’exercer à son propos passion et controverses, la communication d’une entreprise doit être savamment orchestrée… puisqu’elle est vectrice d’influence.

Quelques lignes pour conclure

Si l’influence est l’objectif final de la communication, la digitalisation de ses outils rend son exercice plus accessible à un plus grand nombre de marques. Dans un monde où la construction de soi se fait également par les réseaux sociaux et Internet, il est naturel de voir les firmes investir ce terrain doté de nouvelles règles, acteurs et enjeux… voire même pour certaines s’y construire de manière exclusive (pour l’instant ?). Cet article n’a pas pour vocation d’être exhaustif, des deux techniques d’influences digitales dont nous avons parlé en subsistent probablement un millier d’autres ! En quelques mots, ce qu’il faut retenir de cet article est que l’influence est un concept développé en intelligence économique, plus que jamais lié à la communication à l’heure du digital.

Alexandre Darrigo, Master 2 Communication Média Hors Média (Promotion 2018-2019)

Références
Alain Juillet, Bruno Racouchot. «L’influence, le noble art de l’intelligence économique.», Communication & organisation n°42 décembre 2012.

Balleys, Claire. «Comment les adolescents construisent leur identité avec YouTube et les médiassociaux.» Nectart 2018: 124-133.

Dubuquoy, Antoine. «Les paradoxes du consommateur 2.0.» L’Expansion Management Review Décembre 2011: 10-16.

March, James G. «An introduction to the theory and Measurement of Influence ».» The Amarican Political Science Review 69 1955: 431-451.

Rubise, Patrick. Manipulation, désinformation et influence. L’Harmattan, 2011.

Springuel, Aubry. «L’influence dans la stratégie des entreprises.» Revue internationale d’intelligence économique 2011: 153-160.

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